Des jardins pour lire la ville
Il est des lieux dans la ville, des lieux connus ou méconnus
qui donnent à lire la ville. Des lieux, qui façonnent
l'histoire, les mémoires et le patrimoine de la ville. Lieux
d'expression privilégiés de la culture populaire et ouvrière
stéphanoise, les jardins ouvriers constituent de formidables
lieux de savoir-faire, de sociabilité et de solidarité.
Ils sont aussi des fragments d'espace, des témoins de notre
histoire industrielle et urbaine, à laquelle ils sont indissociablement
liés. Parcourir aujourd'hui les jardins ouvriers de Montreynaud
et du Marais nous amène à croiser à partir d'un
travail de mémoire, le passé, le présent et le
devenir d'un site ancré dans la trame d'une histoire sociale
et industrielle d'un ancien quartier de Saint-Etienne. Le quartier du
Marais qui, en un peu plus d'un siècle, s'est composé
puis décomposé au rythme d'un processus d'industrialisation
et de désindustrialisation.
Cette visite dont nos guides sont des jardiniers, " ex-métallos
" du Marais pour la plupart, se propose de dévoiler une saison au jardin.
La pratique quotidienne du jardinage rythmée par le temps, les
concours de jardins, les fêtes sont autant de moments que Marie-Pierre
Vincent a choisi de privilégier pour cette rencontre avec les
jardiniers. Ce qu'il en ressort, c'est l'agréable sentiment d'avoir
passé un peu de temps au jardin et ce sont surtout ces figures
de jardiniers, pour qui l'essentiel est de " passer le temps ",
" se faire plaisir " et " bien travailler son jardin
". Dans les jardins ouvriers, les jardiniers retraités parlent
du " travail de la terre", comme une nécessité,
comme s'ils n'avaient jamais quitté le monde du travail.
Cette visite nous invite aussi à un jeu de mémoires entre
un territoire de la ville et des jardiniers ouvriers qui réactivent
à leur manière l'histoire d'un quartier. Dans les jardins
ouvriers du Marais de la section Ascométal, disséminés
un peu partout, les fragments d'" usines ", incrustés
au milieu des plantations ou ornant les cabanes faîtes d'objet
de récupération, sont comme des révélateurs
de mémoire. Les briques réfractaires, en silice ou en
magnésie, récupérées dans les usines du
Marais avant leur démolition ainsi que les placards métalliques
provenant des anciens vestiaires de Creusot-Loire, sont autant de signes
visibles qui composent aujourd'hui l'archéologie du site. Aussi,
les jardins du Marais demeurent-ils le dernier lieu où se donne
à voir entre les traces, les récits et les accents des
jardiniers, ce qui compose la mémoire du quartier du Marais,
traversé par une histoire des migrations indissociablement liée
à la fabrication de la ville.
Lila Bencharif