Je ne suis pas le photographe des choses ou des événements
extraordinares. Pour moi, le quotidien est assez fabuleux pour me donner
matière à photographier. C'est la raison pour laquelle
depuis de nombreuses années, je photographie la pomme de terre.
Son extrême banalité m'a séduit un jour de l'automne
1994.
Dès les premières photos, j'ai supprimé tout
aspect anecdotique, toute référence à la terre.
J'avais une idée phare : traiter la pomme de terre comme une
sculpture, un objet d'art. Ainsi, je suis parti pour un long voyage,
à la découverte de la sensualité des courbes, du
mystère des creux, de la lumière caressant une peau lisse,
tendue, fripée, salie. La première série voyait
le jour : les variétés. C¹est une débauche de formes,
de couleurs, de prénoms féminins, et aussi, de nombreuses
rencontres avec les producteurs, que ce soit sur les marchés
ou dans les fermes.
Puis les pommes de terre ont pris leur autonomie et m'ont imposé
leur histoire que j'ai dû mettre en forme : les surréalistes,
les couples, les enfermements, les identités, les ludiques, etc.
Et tout en faisant des photos, on se pose des questions, car la pomme
de terre est avant tout un aliment, c'est même le quatrième
aliment de base pour l'humanité, après le riz, le maïs
et le mil.
Ainsi la pomme de terre paraît bien insignifiante, mais pourtant
grâce à elle nous pouvons nous poser les questions essentielles,
sur le type de nourriture que nous consommons, avec quelle saveur. Quel
type de société sommes-nous prêts à accepter
ou à refuser ? Ou à inventer ?
Jean-Louis Gonterre Octobre 1998 - Février 2002